« C’est grand, c’est haut ! » : ainsi résonnent les mots de Didier Guth, artiste strasbourgeois ayant investi tout l’été l’hôpital Notre-Dame des Fontenilles aussi communément appelé l’Hôtel-Dieu de Tonnerre. Invité par Frédéric Roussel, directeur du Centre Hospitalier et par le philosophe Jean-Louis Déotte, Didier Guth a pensé ce projet pendant quasiment une demi-année.
Son objectif était d’inscrire ses créations dans le contexte et dans le lieu lui-même : un espace si emblématique qu’il était impossible et impensable pour l’artiste, de le charger ou de l’envahir. Il fallait donc littéralement l’habiter. Une question extrêmement délicate à laquelle Didier Guth a répondu avec intelligence et poésie.
Cet hôpital est effectivement chargé d’histoire(s). Construit en 1293 en seulement deux ans par Marguerite de Bourgogne, il fut salle des malades et église jusqu’au milieu du XVIIème siècle. La salle abritait à l’époque une quarantaine de lits pour accueillir et protéger les personnes dans le besoin jusqu’à leur rétablissement. En 1648, un second hôpital est construit pour des raisons sanitaires. La grande salle, dont la nef fait 90 mètres de long, 18 mètres de haut pour 18 mètres de large devient alors, aux XVIIème et XVIIIème siècles, un lieu de sépulture. De celui-ci, subsistent encore sur le sol les pierres tombales de religieux, de donateurs, de bienfaiteurs et de familles nobles. Par ailleurs, la ville de Tonnerre se trouve sur la route de Compostelle. Le lieu pouvait aisément servir d’hébergement aux pèlerins.
Didier Guth est un artiste aux pratiques multiples. Il se dit héritier aussi bien « de Schwitters que de Picasso pour les collages, de Klee et Miro pour les formes, du pop art pour les couleurs et les formes simples, de Warhol pour les images, les séries, les accumulations et les photocopies, de Calder pour les objets ».
Pour ce projet de grande envergure, pour cette immersion au cœur d’une histoire bourguignonne, l’artiste s’est aussi placé en tant qu’historien. Pour que ses œuvres résonnent et facent écho à la magie historique du lieu, pour que ses œuvres soit véritablement accueillies et recueillies. L’homme se met en situation, l’artiste travaille in situ.
Didier Guth propose un Parterre de fleurs. Ce sont ses marguerites : des fleurs colorées qui s’érigent sur une tige en fer fichée dans un petit socle. L’artiste les a disposées et disséminées sur les dalles, sur les pierres tombales. Il fleurit les tombes en hommage aux morts d’ici et de sa famille. Ce sont ses marguerites. La marguerite, la fleur, celle qui aime une terre ordinaire, même pauvre. Une fleur qui aime le soleil et qui fleurit en juin et en juillet, celle qui s’utilise en bouquet et qui apporte chaleur et simplicité. Il y aussi Marguerite de Bourgogne bien sur, cette bienfaitrice au cœur du lieu lui-même. Il y aussi Marguerite, la vache de Fernandel dans la « Vache et le prisonnier » et compte tenu de l’appétence de l’artiste pour l’histoire et la littérature, on pourrait citer, pourquoi pas, Marguerite Yourcenar ou encore Marguerite Duras parmi ses nombreuses Marguerites.
Plus loin, trois pèlerins s’érigent seuls dans l’espace. La lumière vient éclairer ces objets sculpturaux, ces formes découpées en bois peints. Ceux-ci semblent voûtés, fatigués, un peu malades. Viennent-ils pour se reposer ? Au dessus de leur tête, 13 éléments, dont un rouge (fort et puissant), s’élèvent dans la charpente et viennent faire écho à la rythmique des poutres. Il s’agit de pointillé blanc, cette pièce nécessitant une déambulation, une articulation, donne une vision différente de l’espace. Certain peuvent voir dans cette œuvre une sorte d’ascension biblique, liée à l’échelle de Jacob. D’autres peuvent se sentir face à une colonne vertébrale, ou face à une représentation stylisée de gisants ou de malades. Dans l’un ou l’autre cas, l’artiste propose avec pointillé blanc une adéquation avec le lieu. Finalement, chaque visiteur doit s’approprier ce qu’il voit, s’immiscer dans l’oeuvre de l’artiste et dans le lieu lui-même. Sur les murs, Didier Guth a accroché ce qu’il nomme ses « empreintes ». Des formes imprimées manuellement sur plusieurs papiers. Les pièces sont liées entres-elles et racontent une histoire. Elles viennent clôturer cet ensemble, mieux encore elles agissent comme des traces. Traces du passé et du présent.
L’hôtel-Dieu de Tonnerre est un espace imposant, impressionnant, habité. On se sent petit mais pas écrasé face au travail rigoureux des charpentiers du XIIIème siècle. Nul doute que l’artiste ait été à la fois fasciné, émerveillé, réjouit et impressionné par la beauté du lieu, et par le silence sensible et poétique qui s’en dégage. Didier Guth semble avoir répondu aux contraintes autant spirituelles, historiques et techniques imposées par l’espace. S’il réside une grande part de mystère dans l’Hôtel-Dieu de Tonnerre, il en réside tout autant chez Didier Guth et (l)ses marguerites. Séduite par le lieu autant que par les œuvres et l’investissement de l’artiste, je ne peux que vous inciter à aller à la rencontre de ce monde artistique, historique et architectural.
Pour aller voir l’exposition :
finissage de l’exposition Didier Guth et les marguerites à l’Hôtel-dieu de Tonnerre (Yonne)
samedi 19 septembre
17 H. rencontre avec l’artiste
18 H. performance de Gaëtan Gromer (Les Ensembles 2.2)