
Vue de l’exposition « Slow Season » des Mahony à La Criée centre d’art contemporain, Rennes (13 juin – 14 août 2013) – Photo : Benoît Mauras
L’ancienne criée aux poissons, aujourd’hui devenue centre d’art; a accueilli du 13 juin au 14 août 2013 le collectif autrichien des Mahony pour leur première exposition monographique en France. Cette exposition intitulée « slow season » s’est inscrite dans le cadre d’Ulysses, l’autre mer, un itinéraire d’art contemporain en Bretagne, initié par le Frac Bretagne à l’occasion des 30 ans des Fonds Régionaux d’Art Contemporain.
Mais qui se cache derrière ce collectif des Mahony ? Deux allemands et un autrichien, une femme et deux hommes, Stephan Kobatsch, Jenny Wolka et Clemens Leuschner, Trois artistes qui ont fondé le collectif en 2002 et qui se sont établis à Berlin. Et si les Mahony sont plasticiens, ils sont aussi de grands voyageurs. Leur art se nourrit de leurs voyages et pérégrinations. Ainsi, les Mahony s’intéressent aux déplacements, au transport des objets et de l’information, et questionnent également les notions de territoire, d’identité et d’appartenance. Ils établissent et créent des systèmes de connections et d’interrelations entre passé et présent, entre contextes sociaux et politiques, zones géographiques et historiques. Ils ne s’attardent pas sur un médium mais sur plusieurs supports d’expression qui traitent à la fois de la représentation, de la cartographie et même des images et de leur circulation. Derrière le travail des Mahony se dissimule un regard poétique, politique, souvent complexe sur le monde contemporain.

Vue de l’exposition « Slow Season » des Mahony à La Criée centre d’art contemporain, Rennes (13 juin – 14 août 2013) – Photo : Benoît Mauras
Pour Slow Season, le collectif s’est directement inspiré de l’histoire et de l’emplacement de la Criée. En pénétrant dans le lieu, le regard du visiteur était directement saisi par une reproduction en grand format d’une photographie d’archive des halles datant des années 1920. On pouvait y voir deux hommes, posant dans les halles, vides de toute activité. Mais l’inspiration de l’histoire de la Criée ne s’arrête pas là. En tournant la tête, le visiteur avait en face de lui 26 poissons en argile posés à même le sol : une sorte « d’assemblée » désignant l’ancien marché de la cité et enveloppée de l’actualité des pages économiques du quotidien Ouest-France. Les Mahony semblent avoir pensé le lieu d’exposition comme une place publique. L’agora antique, lieu de pouvoir par excellence, paraissait alors refaire surface.

Vue de l’exposition « Slow Season » des Mahony à La Criée centre d’art contemporain, Rennes (13 juin – 14 août 2013) – Photo : Benoît Mauras
Cette métaphore de la place antique se poursuivait lorsque le visiteur était invité à monter sur une estrade, puis suivre un corridor avant d’entrer dans une pièce noire. Une construction qui n’est pas sans rappeler le temple antique, ou plus récemment la scénographie des nouveaux musées ethnographiques. Cette installation vidéo intitulée Gum-Paste Incident projetait les images d’une statuette maya, dont l’authenticité a été récemment débattue lors de son passage en vente publique, remettant en question sa valeur d’objet d’art et révélant une fois de plus les conflits de pouvoir entre la vieille Europe et les « autres mondes ». En fond sonore, des paroles de courtiers enregistrées dans une salle de vente venaient agresser nos oreilles. il s’agit d’une oeuvre particulièrement poignante permettant au collectif de pointer du doigt le pouvoir de la connaissance et des médias, mais aussi de mettre en exergue la marchandisation de l’art et les valeurs qui en découlent.
L’exposition proposait également des variations autour du thème de l’absence et d’Ulysse avec de nombreuses références aux œuvres littéraires de Joyce et Homère. La plus petite pièce de l’exposition, Poor Mamma’s Panacea, un moulage en cire d’une pomme de terre suspendu au bout d’un fil renvoie à Léopold Bloom, personnage fictif et antihéros du roman Ulysse de James Joyce. L’histoire veut que Léopold Bloom conservait dans sa poche, à la manière d’un talisman, une pomme de terre. Pomme de terre comme objet de croyance certes, mais qui incarne également l’économie de l’Irlande et la grande famine du 19ème siècle.
Slow Season, c’était 10 œuvres, spécialement imaginées et mises en scène pour cette exposition soit un subtil mélange de poésie et de politique, avec une attention particulière pour l’environnement et pour la figure du voyageur, errant, absent, présent. Le collectif nous a ainsi invité au voyage, au partage et à réfléchir sur le monde contemporain. Et même si l’exposition Slow Season est terminée vous avez encore l’occasion de sillonner les routes ou côtes bretonnes à la recherche des autres lieux qui proposent jusqu’en novembre 2013 le projet Ulysses, l’autre mer.
N.B : Article publié dans la revue transversalles en Août 2013